RIFSEEP, vous avez dit RIFSEEP ?

 

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Le Régime Indemnitaire tenant compte des Fonctions, des Sujétions, de l’Expertise et de l’Engagement Professionnel créé par le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 va se mettre progressivement en place dans les collectivités territoriales.

Ce nouveau régime indemnitaire regroupe dans un seul cadre un très grand nombre de primes et d’indemnités liées aux fonctions et à la manière de servir. Il peut se voir comme un simple mécanisme technique modifiant les paramètres des primes et indemnités, mais peut-être peut-il aussi constituer un intéressant outil de gestion des ressources humaines, pour peu que l’on prenne le temps d’en travailler les mécanismes.

Pour faire le point sur ce sujet, le présent article présente les formes globales et essentiellement juridiques du mécanisme du RIFSEEP. Nous traiterons de l’intérêt du RIFSEEP en matière de gestion des ressources humaines dans un prochaine article.

Sources juridiques

Le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 portant création d’un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel dans la fonction publique de l’état crée ce nouveau dispositif.

Ce dispositif est rendu applicable à certains cadres d’emplois de la fonction publique territoriale par quatre arrêtés (trois du 17 décembre 2015 et un du 30 décembre 2015)  à partir du 1er janvier 2016. Ces arrêtés permettent d’appliquer les montants fixés par des arrêtés généraux pour les corps de fonctionnaires d’état équivalents, puisque  les fonctionnaires du Ministère de l’Intérieur et de l’Outre Mer sont explicitement visés par ces textes.

 Un régime indemnitaire, deux composantes

Le RIFSEEP, c’est en fait le RIFSE + le EP (ou plus exactement le CIA EP) :

  • RIFSE : Régime Indemnitaire de Fonctions, de Sujétions et d’Expertise (à versement mensuel (Cf.Article 2 dernier alinéa)
  • CIA EP : Complément Indemnitaire Annuel lié à l’Engagement Professionnel

Dans le cadre de la mise en place du RIFSEEP, le CIA EP est facultatif : il est possible de ne pas l’instituer ou de ne pas l’attribuer (prime à 0%).

Le cadre indemnitaire du RISFE

Le RIFSE est construit au sein des différents corps ou statuts d’emplois (Article 2 du décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 ).

Schématiquement, il faut donc imaginer le RIFSE comme une matrice (un tableau) dont chacune des colonnes correspondrait à une filière et chaque ligne à un cadre d’emploi.

Exemple pour les filières administratives et techniques :

Filière administrative
Cadres d’emplois
Filière technique
Cadres d’emplois
Catégorie A Administrateur territorial (Ingénieur territorial)*
Attaché territorial
Catégorie B Rédacteur territorial (Technicien)* – Voir (2)
Catégorie C Adjoint administratif territorial (Agent de maîtrise territorial)*
(Adjoint technique territorial)*
(Adjoint technique des établissements d’enseignement)*

Ce découpage par cadre d’emploi tient à la correspondance faite, pour la détermination du montant maximum de la prime, aux rémunérations des cadres de l’état au travers du principe de parité (1).

(*) Notons l’absence de parution à ce jour des arrêtés pour certains cadres d’emplois (entre parenthèse et en italique dans la tableau ci-dessus).

Au sein de chaque cadre d’emploi sont définis des  »groupes de fonctions ».

Ainsi, on pourrait par exemple créer 3 groupes de fonctions pour les rédacteurs (c’est l’option prise par l’état) :

Cadre d’emploi Groupe de fonctions
Rédacteur territorial Groupe 1
Groupe 2
Groupe 3

A chaque groupe de fonctions correspond un montant maximum annuel. Le groupe 1 bénéficie du montant maximal le plus élevé, le groupe 3 du montant maximal le moins élevé.

Il s’agit bien d’une indemnité de fonction, puisque le grade n’entre pas en jeu pour la détermination du maximum (3).

Selon nos informations, le nombre de groupes de fonctions fixé par l’état au sein de chaque cadre d’emploi ne s’imposerait pas aux collectivités. Ainsi, alors qu’en catégorie C l’état préconise de ne définir que deux groupes de fonctions (4), il serait possible d’en définir davantage au sein de la collectivité, pour tenir compte de la grande variété des fonctions au sein de cette catégorie.

Toujours selon nos information, en application du principe de parité, seul le maximum du groupe le plus élevé au sein d’un cadre d’emploi s’appliquerait, les maximums des autres groupes (d’un montant moindre) seraient fixés par la délibération dans la limite de ce maximum.

Qu’est-ce qu’une fonction au sens d’un  »groupe de fonctions » ?

Avouons que de ce point de vu, les textes ne sont pas très clairs :

  • La foire aux questions du site www.fonction-publique.gouv.fr donne la définition suivante d’une fonction : « il s’agit de la définition de l’espace professionnel au sein duquel évolue l’agent » (!).
  • L’annexe de la circulaire du 5 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel définit pour chacun des groupes une liste d’emplois (exemple : pour le corps des attachés d’administration, le groupe 1 comprend : les emplois de chef de mission, conseiller d’administration ou assimilé / chef de bureau ou assimilé – Forte exposition ou équipe importante / chargé de mission auprès d’un sous-directeur requérant une forte exposition et des sujétions).
  • La même circulaire emploie le terme de  »fonctions- types »  au paragraphe II – 1.2.

A notre sens, la définition de cette notion de fonction, au sein de chaque collectivité qui souhaitera mettre en place le RIFSEEP, sera primordiale. Elle permettra notamment de faire du RIFSEEP un véritable outil de gestion des ressources humaines (parcours professionnel, gestion des carrières…). Nous reviendrons sur ce point dans notre prochain article sur le sujet.

Rattachement des fonctions aux groupes de fonctions : 3 types de critères professionnels

Une fois définie ce qu’est une fonctions, comment répartir les fonctions dans les différents groupes de fonctions ?

Le décret définit trois critères professionnels permettant l’affectation d’une fonction au sein d’un groupe de fonctions. Ces trois groupes recoupent l’intitulé du régime indemitaire :

  • Fonctions = Encadrement, coordination, conception et pilotage (5)
  • Expertise = Technicité, expertise, expérience ou qualification nécessaire à l’exercice des fonctions (6)
  • Sujétions = Sujétions particulières et degré d’exposition de certains types de postes au regard de leur environnement extérieur ou de proximité (7)

 

On trouvera les précisions apportées par la circulaire citée plus haut en suivant les renvois ci-dessus.

Il semble possible selon Eric DUFRESNE (Responsable du service droit statutaire du CIG Grande couronne le 11/02/2016) de créer par délibération d’autres critères, mais il nous semble plus pertinent de respecter les 3 critères du décret et de travailler sur la définition interne de ces critères et de leur cotation (nous y reviendrons dans le second article).

Il s’agira donc pour mettre en place le RIFSE :

  1. d’identifier les fonctions,
  2. de construire un système de cotation de ces fonctions à travers les critères professionnels
  3. de constituer des groupes de fonctions à partir de ces cotations.

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Source : http://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statut_et_remunerations/RIFSEEP_doc_pedagogique.pdf

 Articulation du caractère collectif et individuel du RIFSE

La partie RIFSE du RIFSEEP présente-t’elle un caractère collectif (tous les agents occupant la même fonction bénéficient de la même prime) ou individuel (la prime est individualisée) ?

Cette question peut également se présenter sous la forme suivante : le RIFSE constitue-t-il une rémunération afférente à l’emploi (8), au poste (9) ou à l’agent qui l’occupe ?

Les trois semble-t’il.

Pour la classification d’une fonction dans un groupe de fonctions :

  • Si l’on se réfère à l’exemple de la fonction publique d’état (annexe de la circulaire du 5 décembre 2014), ce sont des emplois (chefs de mission, chargés d’études…) qui sont classé dans les différents groupes (le mot  »emploi » est présent plusieurs fois en tête de liste).
  • Si l’on ne classe pas des emplois, mais des fonctions (exemple : fonction de chef de projet au sein d’un poste de chargé de mission), là encore on se réfèrera à une approche collective. C’est le type de projet conduit (par exemple) qui entraînera la classification de chef de projet dans tel ou tel groupe de fonctions.

C’est donc bien une approche collective qui conduit à la classification d’un ensemble d’agents dans un groupe d’emplois.

 

Si l’on se réfère aux sujétions, il existe deux possibilités :

  • La sujétion est consubstantielle de la fonction, et dans ce cas là l’approche est bien collective puisque toutes les personnes qui exercent la fonction seront soumises à cette sujétion.
  • La sujétion est liée à certains postes particuliers, mais pas à tous les postes relevant d’un même emploi ou impliquant la mise en œuvre d’une même fonction. Dans ce cas, la sujétion ne sera pas un éléments de classification de la fonction au sein d’un même groupe de fonctions, mais un élément d’individualisation de la prime au sein d’un même groupe de fonctions. Cette individualisation relèvera du poste mais pas de la personne.

 

Il en sera de même en matière d’expertise : l’expertise peut être requise pour exercer une fonction et constituer de fait un élément de classification dans l’un ou l’autre des groupes de fonctions, ou au contraire être un élément de différentiation entre plusieurs collaborateurs exerçant une même fonction. Notons que pour ce critère, le décret parle de  »qualification, d’expertise et d’expérience ». La qualification est un élément de nature collective. L’expertise peut relever des deux. L’expérience est plutôt un élément individuel (et liée à la personne, pas au poste), ce d’autant que le décret prévoit dans l’article 3 que :  »Le montant de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise fait l’objet d’un réexamen au moins tous les quatre ans, en l’absence de changement de fonctions et au vu de l’expérience acquise par l’agent » (il s’agit donc bien ici de la personne, et non du poste).

 

Comment articuler tout ces éléments ? Nous y reviendrons dans un prochain article, mais nous pouvons d’ors et déjà faire le lien entre des critères professionnels du RIFSEEP et les critère classants de nombreuses conventions collectives récentes du secteur privé. Sans être directement transposable, la méthode des critères classants peut être une source d’inspiration pour la conception du système de classification du RIFSEEP.

C.I.A. E.P.

Selon l’article 4 du décret 2014-513 :

  •  »Les fonctionnaires mentionnés à l’article 1er peuvent bénéficier d’un complément indemnitaire annuel qui tient compte de l’engagement professionnel et de la manière de servir, appréciée dans les conditions fixées en application de l’article 55 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée.
  • Il est compris entre 0 et 100 % d’un montant maximal par groupe de fonctions fixé par arrêté du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget et, le cas échéant, du ministre intéressé.
  • Le complément indemnitaire fait l’objet d’un versement annuel, en une ou deux fractions, non reconductible automatiquement d’une année sur l’autre. »

La circulaire du 5 décembre 2014 précise :

  •  »L’article 4 du décret RIFSEEP prévoit la possibilité de verser un complément indemnitaire annuel, en une ou deux fractions, afin de tenir compte de l’engagement professionnel et de la manière de servir.
  • L’appréciation de cette dernière se fonde sur l’entretien professionnel. Dès lors, il pourra être tenu compte de la réalisation d’objectifs quantitatifs et qualitatifs et ce, principalement pour les agents relevant de la catégorie A.
  • Plus généralement, seront appréciés :
    • la valeur professionnelle de l’agent,
    • son investissement personnel dans l’exercice de ses fonctions,
    • son sens du service public,
    • sa capacité à travailler en équipe et sa contribution au collectif de travail,
    • la connaissance de son domaine d’intervention,
    • sa capacité à s’adapter aux exigences du poste,
    • à coopérer avec des partenaires internes ou externes,
    • son implication dans les projets du service,
    • sa participation active à la réalisation des missions rattachées à son environnement professionnel (Rien ne fait donc obstacle à ce que l’investissement collectif d’une équipe autour d’un projet porté par le service soit pris en considération dans l’attribution du complément annuel).
  • Le versement de ce complément indemnitaire est facultatif. Les modalités de son éventuelle mise en œuvre seront donc fonction de la politique de gestion des ressources humaines portée par chaque ministère et des crédits alloués au titre des enveloppes catégorielles.
  • Les attributions individuelles seront comprises entre 0 et 100% du montant maximal fixé pour chaque groupe de fonction.
  • Les montants versés au titre du complément indemnitaire n’ont pas vocation à être reconduits automatiquement d’une année sur l’autre. »

 

En résumé, le CIA EP :

  • a un caractère facultatif
  • est individuel, mais peut avoir une composante collective
  • est lié à l’entretien annuel
  • relève bien d’une composante d’évaluation contextuelle, puisqu’il n’a pas de caractère automatiquement reconductible…

 

Comment appréhender la mise en place du RIFSEEP ?

Il y a deux grandes façons d’aborder le RIFSEEP :

  1. celle de la mise en conformité juridique.
  2. celle de la construction d’un outil de gestion des ressources humaines pour la gestion des carrières et de l’évolution professionnelle des agents.

La première concerne particulièrement les collectivités qui avaient mis en place la prime de fonctions et de résultats (PFR), puisque le décret instituant le RIFSEEP abroge celui qui donnait sa base légale aux délibération mettant en place la PFR… ce qui obligera les collectivités  »à les abroger dans un délai raisonnable »  (courrier de la DGCL du 21 juillet 2015) et donc à les remplacer.

La seconde devrait permettre de mettre en relation le dossier de l’entretien professionnel, ceux sur l’hygiène, la santé et les conditions de travail (notamment à travers le  »document unique » et la gestion prévisionnelle de l’emploi, des effectifs, des compétences et des carrières (GPEECC).

La seconde a, on s’en doutera, notre préférence, sans quoi cet article n’aurait pas sa place dans ce blog.

Reste un problème, à ce jour : tous les arrêtés d’application du décret 2014-513 permettant de déterminer par équivalence le montant maximum du régime indemnitaire auquel peuvent prétendre les fonctionnaires territoriaux en fonction de leur cadre d’emploi ne sont pas parus.

Malgré cela, rien n’empêche de commencer le travail préparatoire, nous y reviendrons prochainement.

Denis CHAUMAT
Consultant – Fondateur du cabinet Orizon

 

(1) Le montant du régime indemnitaire mis en place au sein de la fonction publique territoriale (FPT) « ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l’état exerçant des fonctions équivalentes » (Décret 91-875 du 6 septembre 1991 modifié).

(2) Attention, il semblerait que l’arrêté du 30 décembre 2015 concernant les techniciens supérieurs du développement durable ne s’applique qu’aux ex « contrôleurs des affaires maritimes » intégrés dans le corps des techniciens supérieurs du développement durable. En effet, l’article de l’arrêté renvoie à l’article 3 du décret 2012-1494 du 27 décembre 2012 qui applique le RIFSEEP à ces seuls « contrôleurs des affaires maritimes » (Eric DUFRESNE (Responsable du service droit statutaire du CIG Grande couronne le 11/02/2016).

(3) Notons cependant que l’état fixe un montant indemnitaire minimum pour chaque grade au sein d’un cadre d’emploi.Ce minimum est indépendant du groupe de fonctions auquel appartient l’agent. Ce minimum ne s’impose pas aux collectivités territoriales.

(4) La circulaire du 5 décembre 2014 relative à la mise en œuvre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel préconise, sous réserve de spécificités particulières, de prévoir au plus 4 groupes de fonctions pour les corps relevant de la catégorie A, 3 groupes pour ceux de la catégorie B et deux groupes pour ceux de la catégorie C (§ II 1.1).

(5) Encadrement, coordination, pilotage et conception : ce critère, explicite, fait référence à des responsabilités plus ou moins lourdes en matière d’encadrement ou de coordination d’une équipe, d’élaboration et de suivi de dossiers stratégiques ou bien encore de conduite de projets.

(6) Technicité, expertise, expérience ou qualification nécessaire à l’exercice des fonctions : il s’agit là de valoriser l’acquisition et la mobilisation de compétences plus ou moins complexes, dans le domaine fonctionnel de référence de l’agent. Par ailleurs, les formations suivies, les démarches d’approfondissement professionnel sur un poste comme les connaissances pratiques assimilées au fur et à mesure de l’exercice des fonctions permettent aux agents d’enrichir, voire d’élargir leurs compétences et savoir-faire. Ces acquis de l’expérience professionnelle qui vont venir enrichir leur « bagage fonctionnel » peuvent également être reconnus.

(7) Sujétions particulières et degré d’exposition de certains types de poste au regard de son environnement extérieur ou de proximité : les sujétions spéciales correspondent à des contraintes particulières liées, par exemple, à l’exercice de fonctions itinérantes. L’exposition de certains types de poste peut, quant à elle, être physique. Elle peut également s’opérer par une mise en responsabilité prononcée de l’agent, notamment dans le cadre d’échanges fréquents avec des partenaires internes ou externes à l’administration. Enfin, il peut également être tenu compte des sujétions liées à l’affectation ou à l’aire géographique d’exercice des fonctions dans la détermination des critères professionnels.

(8) Emploi :  ensemble de postes ou de profils de poste suffisamment proches les uns des autres par leurs contenus (activités-responsabilités, contributions attendues, niveau de délégation, exigences, compétences associées ou capacités requises) pour en constituer une définition générique et une aire de mobilité naturelle de premier niveau.

(9) Poste : point de rencontre au sein d’un organisme donné entre l’organisation du travail et  la gestion des ressources humaines. A ce titre, à chaque poste correspond un individu, à chaque individu correspond un poste.