Doit-on être heureux au travail ? Et surtout l’entreprise doit-elle se placer en garante de ce bonheur ? La question peut se poser avec l’apparition récente des très branchés CHO (Chief Happiness Officers, littéralement des « Officiers en chef du Bonheur »).
Plus largement, fait-on le bonheur de ses salariés à coup de tournois de babyfoot, de sessions de yoga du rire et d’apéros en tout genre ?
Selon la légende (et Wikipédia), le concept de CHO aurait été créé par Chade-Meng Tan, un ingénieur américain de Google, qui, entré au service du moteur de recherche comme développeur a changé de métier pour se charger du développement des personnes et de leur bien-être, en qualité de « Jolly Good Fellow » (jovial bon camarade).
Le rôle du CHO serait (il existe sans doute autant de définitions que de postes) de mettre en œuvre une ambiance de travail positive, de veiller à ce que les salariés se retrouvent dans les meilleures conditions et qu’aucun obstacle ne puisse entraver leur travail. Quelque part un mélange des fonctions de manageur, Directeur des Ressources Humaines, délégué syndical et animateur du comité d’entreprise.
Comme toute innovation, le concept trouve ses défenseurs assidus comme ses détracteurs virulents.
Ainsi, pour Paula Clapon, journaliste passionnée par la recherche du bonheur (c’est elle qui le dit) :
Un Chief Happiness Officer est, par essence, un directeur des ressources humaines avec une qualification spéciale : il pense que si les salariés sont heureux au travail, ils seront plus efficaces.
Le rôle du Chief Happiness Officer est de motiver les salariés, de les impliquer et de chercher à augmenter leurs performances. Le Chief Happiness Officer joue un rôle au niveau de toutes les entités de l’entreprise et s’assure que tous les employés soient heureux dans leur travail (Source).
Au contraire, pour Vincent Berthelot :
(Le CHO c’est) du mauvais marketing RH qui revient à coller un pansement coloré sur une plaie qui risque de s’infecter. Imaginez : votre enfant est tombé et s’est écorché le genou, que vous ne nettoyez pas et ne désinfectez pas la plaie, mais que vous lui collez un chouette sparadrap avec Winnie l’Ourson dessus, un gros bisou sur la joue et le renvoyez jouer (Source).
Après des avis, on peut aussi aller chercher des témoignages, comme celui de Camille Rousselot (Ingénieure d’Affaires et CHO), et Claire Marchyllie (Consultante en Recrutement et CHO) :
On a organisé des olympiades, le yoga du rire, une soirée cinéma dans les locaux, on a participé à une course, on a lancé un loto de Noël pour que tout le monde reçoive un cadeau. On essaie d’inciter au maximum les gens à s’intéresser aux autres pour apprendre à les connaître ! Ça passe aussi par l’organisation de déjeuners hebdomadaires avec des tirages au sort pour que les gens qui ne se connaissent pas puissent passer du temps ensemble. On facilite l’intégration des nouveaux venus avec la mise en place d’un système de parrainage ou l’organisation d’escape games (Source)…
Alors, que penser de tout cela ?
D’abord, dans les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé, j’ai souvent connu des personnes qui avaient un don particulier pour la convivialité et l’organisation d’activités extra professionnelles avec les équipes. Elles n’avaient pas de titre particulier, pas de délégation sur le sujet, encore moins de rémunération spécifique… mais dans leur domaine, elles faisaient le CHO comme Monsieur Jourdain faisait de la prose… faisant souvent le bonheur de leurs collègues… mais sans répondre à l’injonction de faire.
Ensuite, pour répondre aux critiques, c’est une évidence qu’un salarié qui prend plaisir à son travail a toutes les chances d’être plus performant, plus impliqué, moins absent que celui qui est en souffrance. Donc mettre en œuvre une politique de qualité de vie au travail et charger une personne d’en être le visage et le maître d’œuvre ne peut pas être mauvais… sous réserve qu’on lui en donne les moyens d’action effectifs et que ce ne soit pas seulement un effet d’affichage.
Enfin, pour ne pas succomber à l’effet de mode, disons que si les personnes responsables au sein de l’entreprise (manageurs, DRH, représentants du personnel…) jouent leur rôle convenablement, le CHO n’a pas de raison d’être puisque ses missions relèvent peu ou prou de ces différents rôles (auxquels on pourra ajouter la fonction informelle de la Madame ou du Monsieur convivialité évoqué plus haut). Ajoutons tout de même que le début de ce paragraphe vaut dans les entreprises à structure de management hiérarchique traditionnel. Dans des entreprises aux formes de management plus novatrices, moins verticales (comme les Start-up dans lesquelles la fonction est née ou certaines entreprises qui accordent une grande autonomie à leurs agents), la fonction de CHO peut se substituer partiellement à la raréfaction des manageurs.
Une fois ces précisions apportées, reste une question : l’entreprise doit-elle faire le bonheur de ses collaborateurs ?
Rendre le travail moins pénible, améliorer la qualité de vie au travail, susciter la motivation des collaborateurs, les impliquer, leur donner de la reconnaissance, les valoriser, ou encore chercher à augmenter leur performance (sans les pressurer), oui, cela fait partie du rôle des manageurs de l’entreprise. Si les salariés trouvent que cela leur donne envie (voire plaisir) à travailler, ce ne peut être que positif. S’ils y trouvent du bonheur, tant mieux ! Mais le plaisir ou le bonheur ne doivent pas devenir une injonction, ils ne font pas et ne doivent pas faire partie des termes du contrat de travail, sauf à faire de l’entreprise une institution totalitaire, au risque de dégrader les conditions de travail et les conditions de vie au travail… ce qui serait en contradiction totale avec les objectifs initiaux.
Denis CHAUMAT
Consultant – Fondateur du Cabinet Orizon