Manager les compétences ?
Episode 1 : De l’opérateur de production au conducteur de chaîne !
Tout d’abord, le terrain de jeu ! Projetons-nous donc au sein de l’atelier d’une usine industrielle…
Le taylorisme et ses différents avatars ont décortiqué le travail au point de déposséder (presque) entièrement l’agent de production de ce que l’on appellerait aujourd’hui sa compétence.
Mais voilà qu’au cours du XXème, les automates et autres robots remplacent de plus en plus les opérateurs de production. Ces derniers, d’opérateurs, deviennent des conducteurs de chaine.
La notion de compétence peut apparaître. Une révolution des pensées est en marche, pour le meilleur et pour le pire, et elle est loin de ne concerner que l’usine…
Manager les compétences ?
Episode 1 – Emergence du concept de compétence : De l’opérateur de production au conducteur de chaîne(1) !
Tout d’abord, le terrain de jeu !
Comme souvent en matière de management ou de gestion des ressources humaines, c’est au sein de la grande entreprise industrielle que vont se former les concepts.
Projetons-nous donc au sein de l’atelier d’une usine industrielle…
Le taylorisme et ses différents avatars ont décortiqué le travail au point de déposséder (presque) entièrement l’agent de production de ce que l’on appellerait aujourd’hui sa compétence. Dans ce modèle, l’ouvrier n’est plus (en théorie tout du moins) qu’un robot humain qui exécute des séquences de gestes prédéterminés et chronométrés, élaborés par le bureau des méthodes.
Aliénant pour l’ouvrier ?
Sans doute, mais terriblement efficace pour utiliser une main d’œuvre sans qualification préalable, dont chaque élément est, en théorie, rapidement interchangeable : quelques heures, quelques jours, quelques semaines dans les cas extrêmes suffisent pour former un ouvrier sur un nouveau poste de travail.
On a trouvé un joli nom pour cet automate humain : « ouvrier spécialisé »…
« Spécialisé », pas « spécialiste » !
Il ne s’agit pas de développer sur un champ donné une maitrise ou une connaissance supérieure à la normale… Non, il s’agit au contraire d’un rétrécissement : une personne qui aurait pu effectuer tant de tâches lors de son embauche en vient à n’en effectuer qu’un nombre très limité.
Et cela fonctionne !
Cela fonctionne même tellement bien que les personnes en question finissent par faire corps avec ce démembrement du travail et à considérer leur séquence de tâches restreintes comme un »métier », au point de considérer que la polyvalence – c’est-à-dire le fait de pouvoir occuper plusieurs postes de travail – n’est pas un enrichissement du travail, mais une dévalorisation et/ou une contrainte… qui, comme telle, doit faire l’objet d’une rétribution.
L’interchangeabilité des agents de production vient de s’évanouir, et avec elle, l’employabilité de la personne…
Mais voilà qu’au cours du XXème, les automates et autres robots remplacent de plus en plus les opérateurs de production. Ces derniers, d’opérateurs, deviennent des conducteurs de chaine.
Quelle différence entre un conducteur de chaine et un opérateur de production ?
Aucune sur la qualification, ce sont tous deux des personnels de faible qualification. Mais une différence énorme sur l’analyse du travail qui leur est confié.
L’opérateur de production est un »robot humain » qui reproduit des gestes scénarisés et standardisés par le bureau des méthodes. Il n’a, du point de vue de l’entreprise, aucune autonomie, et son travail est qui plus est parfaitement observable et contrôlable.
Le conducteur de chaine a un travail très différent : son rôle n’est pas de faire quelque chose, mais d’éviter quelque chose : la chaine ne doit pas s’arrêter, et si elle s’arrête, l’arrêt doit être le plus court possible…
Avec ce changement, deux personnes de qualifications parfaitement identiques et précédemment parfaitement interchangeables, ne le sont plus. L’une fait le travail mieux que l’autre !
Comment expliquer cette différence ?
La simple observation ne donne que peu de réponses à cette question, puisque la différence n’est pas véritablement observable dans les gestes de nos ouvriers : elle est dans leur tête.
Une part de l’autonomie des ouvriers, que le démembrement du travail avait pratiquement fait disparaître en le transférant au bureau des méthode, vient de réapparaitre. Et cela se traduit par un fait : malgré leurs qualifications identiques, l’un des ouvriers est plus compétent que l’autre…
Ça y est, le mot est lâché…
Mais que désigne-t-il exactement ?
En l’état, une situation parfaitement observable et qui tombe sous le sens tant cela rejoint notre expérience quotidienne : confrontées à une situation de travail donnée, deux personnes, que rien ne distingue professionnellement à priori (elles ont la même qualification), ne réagiront pas tout à fait de la même façon, et cela pourra se traduire dans le résultat de l’action par une plus ou moins grande satisfaction de chacune des personnes intéressées par ces actions (le chef, les collègues, les clients…).
Expérience triviale, donc, mais qui, en faisant réapparaitre une réalité que l’on avait progressivement fait disparaître des ateliers de notre usine, remet en cause un système social patiemment construit… et notamment le système de classification sur la base des qualifications qui définissent les hiérarchies internes et les rémunérations…
Une révolution des pensées est en marche, pour le meilleur et pour le pire, et elle est loin de ne concerner que l’usine…
Nous y reviendrons prochainement.
A suivre…
Denis CHAUMAT
Voir l’introduction – Voir l’épisode 2
(1) Avertissement : le présent texte est une caricature visant à expliquer l’émergence du concept de compétence et les problématiques auxquelles il répond, il ne se veut pas strictement exact au plan historique.