La société post-industrielle qui devait émanciper les individus a débouché sur un monde d’insécurité

Aujourd’hui, un grand nombre d’observateurs dénoncent la dégradation des conditions de vie au travail et l’augmentation des risques psychosociaux (RPS). Parallèlement, des chercheurs, des consultants et des dirigeants d’entreprises ou d’organisations publiques s’interrogent : est-il judicieux de réduire (voire de supprimer) les hiérarchies et d’aller vers des organisations plus horizontales ? Dans un entretien pour L’OBS, l’économiste Daniel COHEN met en relation ces deux problématiques à travers les promesses (non tenues) du passage de la société industrielle à la société postindustrielle.

« Avec la disparition de la société industrielle qui se dessine dès les années 1960, une deuxième modernité s’annonce. Il s’agit du passage de la société industrielle à la postindustrielle. Les Trente Glorieuses voient grandir l’espoir d’un nouveau modèle de vie économique et social. A suivre le sociologue américain Ronald Inglehart, la créativité remplace l’autorité comme valeur structurante. La société postindustrielle promet d’abolir la verticalité de la société industrielle pour privilégier l’horizontalité. Cette aspiration éclot avec les mouvements protestataires de 1968 qui manifestent leur volonté de sortir des vieilles sociétés hiérarchiques dont la société industrielle est demeurée le réceptacle.

Par une perversion de l’Histoire, la société postindustrielle qui devait émanciper les individus a débouché sur un monde d’insécurité, de cost cutting (la recherche de technologies qui réduisent les coûts). A l’organisation hiérarchique s’est substitué le management par le stress. « Sois créatif ou ton emploi sera remplacé par un logiciel ! » intime-t-on aux salariés. Il s’agit là d’une injonction contradictoire. Innove ou meurs ! Mais les individus se demandent : « Où est ma place dans le système ? Suis-je condamné ou sauvé ? » Du coup, la société postindustrielle produit le contraire de ce qu’elle annonce : une société, inquiète, nostalgique de la sécurité perdue. »

Daniel COHEN dans un article de Sylvain Courage dans L’OBS n° 2651 du 27/08/2015 page 68.