Du ménagement au management !

2016-06-22_15h31_34L’émergence du management est généralement associée à la révolution industrielle et au développement de l’industrie… mais saviez-vous que l’on employait avant cela le mot management dans l’agriculture, le soin médical de la mère ou du nourrisson, l’administration d’un foyer (dans laquelle le manageur est une ménagère !) ou la direction d’une école ?

Dans  »Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale » Thibault LE TEXIER nous montre comment les ingénieurs de la révolution industrielle appliquant les principes du management à l’industrie et aux hommes l’ont progressivement transformé dans sa nature, pour aboutir au management que nous connaissons aujourd’hui.

Quelques idées à retenir…

L’émergence du management est généralement associée à la révolution industrielle et au développement de l’industrie… mais saviez-vous que l’on employait avant cela le mot management dans l’agriculture, le soin médical de la mère ou du nourrisson, l’administration d’un foyer (dans laquelle le manageur est une ménagère !) ou la direction d’une école ?

Point commun à ces emplois du mot management : il ne s’agit pas de manager des personnes, mais d’organiser des outils techniques de la façon la plus rationnelle possible pour permettre de prendre soin (de ménager !) des animaux ou des cultures, des jeunes enfants, des activités ménagères pour la famille ou des enfants plus âgés lorsqu’ils vont à l’école.

Le management consiste alors en une gestion des dispositifs techniques visant à l’efficacité de l’action (1), par la mise sous contrôle du travail (2).

Gestion , organisation, rationalisation,  contrôle sont les outils du management.

« Depuis ses premiers usages consacrés, à la fin du XVIème siècle, le verbe to manage signifie conduire, mener, exploiter une affaire, élever, former, dresser, mais en aucun cas discipliner ou violenter (page 70)«  (3).

Même transférées à l’industrie naissante par les ingénieurs, ces techniques ne se sont pas immédiatement appliquées  »au maniement des hommes ». En effet, beaucoup de ces ingénieurs se sont emparés des préceptes du management pour l’appliquer aux dispositifs techniques (machine, agencement de l’atelier…) tout en continuant à appliquer pour les hommes les règles anciennes de l’autorité, de la discipline (4). Ce sera, par exemple, le cas en pratique de FORD, quand il confiera en 1920 son usine River Rouge à l’ancien détenu Harry BENNETT et sa bande de malfrats (p.80). Ce sera également le cas de FAYOL qui, dans ses écrits, emprunte plus à la rationalité militaire (le commandement) qu’à la naissante rationalité managériale (mais il s’intéresse dans ce cadre plus aux cadres de direction qu’à l’encadrement intermédiaire).

Les choses seront différentes pour TAYLOR. Dans sa conception,  »le management est conjuration du conflit et de la domination brute. A la grammaire de l’obéissance privilégiée par le chef d’état, l’officier militaire, l’homme d’église, le manageur préfère l’influence, l’instruction et l’injonction.  Manager consiste moins à surveiller, punir, discipliner qu’à former, arranger, contrôler ; il ne s’agit pas de contraindre, mais de persuader; non de plier, mais d’éduquer. Les ordres seront remplacés par des standards, et les travailleurs soumis à des normes objectivées davantage qu’à la volonté d’un homme » (p.75).

Dans cette approche, le rapport de domination interpersonnel (autorité / soumission) de l’ordre ancien disparaît au profit de la soumission aux artéfacts (les machines et les agencements industriels) et aux standards :  »le corps suit le rythme de la chaîne, l’employé s’insère dans l’écheveau hiérarchique et le bras obéit aux édits du schéma«  (p.174). La compétence elle-même n’appartient plus à l’ouvrier, mais elle est transférée au processus de production.

La rationalité managériale déshumanise les personnes qui, d’acteurs, deviennent de simples agents soumis à la rationalité instrumentale du processus de production. Le rapport de soumission interpersonnel (volontaire ou contraint) inhérent au commandement disparaît. Le discours de rationalité (sous couvert de scientificité)  »enjoint l’ouvrier d’intérioriser cette soumission » et de renoncer à être un humain pour ne devenir qu’une ressource humaine interchangeable, puisque standardisée dans son emploi.

Remarquons que dans ses premières manifestations, le management s’occupait d’êtres ne disposant pas de toute leur autonomie (les enfants…). Gagnant l’industrie, il se charge de diminuer l’autonomie des ouvriers ( »Dans le schéma taylorien, le tour de main des ouvriers est capté par le personnel encadrant et, une fois standardisé, il est réinjecté dans des arrangements matériels, sociaux et normatif » – p.59).

Depuis un siècle et demi, le capitalisme sous ses formes successives est mis en débat, mais parallèlement la gestion et le management se sont immiscés progressivement dans toutes les sphères de nos vies, sans être véritablement questionnés dans leurs fondements (on débat beaucoup plus sur les formes de management que sur le management lui-même).

Dans  »Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale » Thibault LE TEXIER nous montre comment les ingénieurs de la révolution industrielle appliquant les principes du management à l’industrie et aux hommes l’ont progressivement transformé dans sa nature, pour aboutir au management que nous connaissons aujourd’hui.

Intéressant voyage dans la genèse de concepts à l’heures où la nécessité d’une transformation des pratiques managériales semble faire une relative unanimité.

Thibault LE TEXIER  – Le maniement des hommes, essai sur la rationalité managériale – Editions de la découverte – 2016 

 

(1) Pas nécessairement  à l’efficience.

(2) Mise sous contrôle du travail par l’agencement des outils et des pratiques, mais pas nécessairement contrôle du travail a posteriori (sauf dans le cadre scolaire).

(3) Comprendre ici discipline imposée  »de force » par l’autorité externe.

(4) Dans le cas des enfants, il peut être question de discipline, récompenses, punitions… mais il s’agit de formes visant l’autonomie et le contrôle de soi par les jeunes, pas de soumission aveugle à un adulte.